CHANT XVI

Vers 64 à 114

DANS LA TROISIÈME BOLGE, DANTE ECOUTE MARC LE LOMBARD LUI PARLER DES CAUSES POLITIQUES ET RELIGIEUSES DU MAL DANS UN MONDE OÙ LE POUVOIR SPIRITUEL ET LE POUVOIR TEMPOREL SE CONFONDENT DANS LA MÊME PERSONNE.

Alto sospir, che duolo strinse in «uhi!»,
mise fuor prima; e poi cominciò: «Frate,
lo mondo è cieco, e tu vien ben da lui.

Voi che vivete ogne cagion recate
pur suso al cielo, pur come se tutto
movesse seco di necessitate.

Se così fosse, in voi fora distrutto
libero arbitrio, e non fora giustizia
per ben letizia, e per male aver lutto.

Lo cielo i vostri movimenti inizia;
non dico tutti, ma, posto ch'i' 'l dica,
lume v'è dato a bene e a malizia,

e libero voler; che, se fatica
ne le prime battaglie col ciel dura,
poi vince tutto, se ben si notrica.

A maggior forza e a miglior natura
liberi soggiacete; e quella cria
la mente in voi, che 'l ciel non ha in sua cura.

Però, se 'l mondo presente disvia,
in voi è la cagione, in voi si cheggia;
e io te ne sarò or vera spia.

Esce di mano a lui che la vagheggia
prima che sia, a guisa di fanciulla
che piangendo e ridendo pargoleggia,

l'anima semplicetta che sa nulla,
salvo che, mossa da lieto fattore,
volontier torna a ciò che la trastulla.

Di picciol bene in pria sente sapore;
quivi s'inganna, e dietro ad esso corre,
se guida o fren non torce suo amore.

Onde convenne legge per fren porre;
convenne rege aver, che discernesse
de la vera cittade almen la torre.

Le leggi son, ma chi pon mano ad esse?
Nullo, però che 'l pastor che procede,
rugumar può, ma non ha l'unghie fesse;

per che la gente, che sua guida vede
pur a quel ben fedire ond' ella è ghiotta,
di quel si pasce, e più oltre non chiede.

Ben puoi veder che la mala condotta
è la cagion che 'l mondo ha fatto reo,
e non natura che 'n voi sia corrotta.

Soleva Roma, che 'l buon mondo feo,
due soli aver, che l'una e l'altra strada
facean vedere, e del mondo e di Deo.

L'un l'altro ha spento; ed è giunta la spada
col pasturale, e l'un con l'altro insieme
per viva forza mal convien che vada;

però che, giunti, l'un l'altro non teme:
se non mi credi, pon mente a la spiga,
ch'ogn' erba si conosce per lo seme.




Un profond soupir, un hélas douloureux il poussa d'abord ; puis il commença: «Frère, le monde est aveugle, et bien voit-on que tu en viens. Vous qui vivez, vous cherchez la raison de tout au ciel, comme s'il emportait tout dans son mouvement par nécessité. S'il en était ainsi, en vous serait détruit le libre arbitre, et point ne serait-ce justice de recueillir pour le bien la joie, pour le mal les pleurs. Du ciel vos mouvements ont leur commencement, je ne dis pas tous; mais supposé que je le dise, pour discerner le bien et le mal une lumière vous est donnée, et le libre vouloir. Qui ne se refuse point à la fatigue des premiers combats contre le ciel, résiste, puis vainc tout, s'il se nourrit bien . À une force plus grande et à une nature meilleure, libres, vous êtes soumis, et celle-ci en vous crée l'esprit, que le ciel n'a pas sous sa dépendance. Si donc le monde présent dévie, en vous en est la cause, en vous doit-elle être cherchée; et je vais te la découvrir. De la main de celui qui en elle se complaît avant qu'elle soit, comme un petit enfant qui rit et pleure, et ne sait pourquoi, simplette sort l'âme, qui ne sait rien, sinon que, mue par qui l'a créée pour la joie, volontiers elle se tourne vers ce qui l'amuse. D'un léger bien d'abord elle sent la saveur, et, se trompant, elle court après, si un guide ou un frein n'infléchit son amour. D'où il convient qu'il y ait des lois pour imposer un frein, et un roi, qui de la vraie cité discerne au moins la tour. Il y a des lois; mais qui les prend en main? Personne; parce que le pasteur qui précède peut ruminer, mais n'a pas les ongles fendus*. Ce pourquoi le peuple, qui voit son guide rechercher le seul bien dont il est avide, s'en repaît, et ne demande rien de plus. Ainsi tu peux voir qu'être mal régi est la cause qui a rendu le monde criminel, et non la nature corrompue en vous. Rome, qui au bien ramena le monde, avait coutume d'avoir deux soleils, qui montraient les deux routes, celle du monde et celle de Dieu. L'un a éteint l'autre, et l'épée est jointe à la crosse, et mal convient-il que par vive force ils aillent ensemble, parce que, joints, l'un ne craint pas l'autre. Si tu ne me crois, regarde à l'épi; car toute plante se connaît par sa graine.


* Image: le pasteur rumine, c'est à dire doit posséder le pouvoir spirituel et l'empereur a les ongles fendus: il doit posséder le pouvoir temporel.